08 LA VENUE DE ZOLA / GERMINAL

 

LA VENUE DE ZOLA / GERMINAL

En septembre 1883, Zola, en vacances à Bénodet, en Bretagne, y fait la connaissance d’Alfred Giard (1846-1908), scientifique renommé et député socialiste de Valenciennes depuis 1882. Il lui fait part de son nouveau projet de roman portant sur le monde ouvrier et abordant « la question sociale », c’est- à-dire les rapports de capital et du travail. Il pense déjà situer son roman dans le milieu de la mine. Alfred Giard l’invite à venir dans sa circonscription quand il le souhaitera pour découvrir ce « pays noir ». Zola répond favorablement à cette invitation en février 1884.

La visite d’Émile Zola à Bruay-Thiers en 1884

Il arrive à Valenciennes, en compagnie de sa femme, le 23 février 1884, et va rester dans la région jusqu’au 3 mars. Il y voit les prémices de la grande grève de 1884 qui commence le 21 février et va durer 56 jours. Il s’en inspire largement dans Germinal qui paraît en 1885. Alfred Giard lui fait rencontrer le meneur de la grève, Émile Basly (1854-1928), ancien mineur renvoyé de la Compagnie pour ses velléités de création d’une organisation syndicale. Celui-ci tint alors à Denain, auprès des fosses, un cabaret qui sert de lieu de réunion pour les mineurs. Zola retient ce point et s’inspire de Basly pour plusieurs personnages de son roman dont le héros, Etienne Lantier.

Zola visite les villes minières du secteur ainsi que les installations de la Compagnie des Mines d’Anzin grâce à une autorisation délivrée le 25 février 1884. Au cours de ce voyage, il prend des notes dans un carnet maintenant déposé à la Bibliothèque Nationale de France (BNF) et intitulé « Mes notes sur Anzin ». Pour son roman, il retient principalement trois sites : Anzin pour ce qui est de la vie des mineurs et de l’habitat minier (le coron des 120 d’Anzin devient le « coron des 240 » dans Germinal) ; la Fosse Renard à Denain, où il descend, pour tout ce qui est travail au fond de la mine, et Bruay-Thiers pour ce qui est de la situation du puits de mine dans le roman : le «Voreux».

Il remarque aussi la position de l’estaminet situé sur le chemin entre le coron et le puits, là où les mineurs s’arrêtent pour boire une chope et discuter à la remontée du travail, position qu’il reprend dans son roman.

Mais ce qu’il note particulièrement, c’est la position du puits en contrebas du coron : « Fosse Thiers, dans un creux, à côté du canal qui s’étend à perte de vue ». Plus loin, il ajoute : « Mais ce que je veux prendre avant tout, c’est la position topographique. La fosse près du canal, dans un fond, tandis que le coron est bâti en haut d’une pente, sur un plateau au niveau de la route. Autour la plaine immense, du blé, des betteraves, largement ondulée, coupée seulement par la ligne droite des grands arbres réguliers du canal ».

Certes, il nous faut de l’imagination maintenant pour se représenter la grande plaine désormais entièrement construite, mais Zola reprend cette notation dans Germinal : « Au milieu des champs de blé et de betteraves, le coron des Deux-cent-Quarante dormait sous la nuit noire».

Ce que Zola note également, c’est l’aspect trapu des installations qu’il décrit ainsi : « Sur la fosse, les constructions lourdes en briques. Construction massive, accroupie, tapie comme une bête. Seules deux cheminées lourdes, trapues quoique hautes s’élèvent au-dessus de la construction et se voient de partout».

Ces impressions, il les transpose dans Germinal quand Etienne Lantier arrive à une fosse « tassée au fond d’un creux, avec ses constructions trapues de briques, dressant sa cheminée comme une corne menaçante », une fosse « qui lui semble avoir un air mauvais de bête goulue, accroupie là pour manger le monde». C’est « une bastille d’un nouveau genre » écrivit Zola dans ses notes.

De la réalité au roman

Il est frappant de constater que, dès sa visite, Zola est déjà en train d’interpréter la réalité en fonction de l’objectif qu’il va se donner dans son roman. Il voit déjà ce puits comme un monstre qui, tapi dans un creux va dévorer chaque jour les mineurs qui descendent vers lui des corons situés plus haut. D’où l’intérêt qu’il a porté à « la position topographique » de cet ensemble et le nom qu’il a choisi pour nommer sa fosse dans Germinal : le «Voreux » inspiré du mot Dévoreur dont il peut être une forme patoisante. Ceci est clairement exprimé dans le roman :
«Le puits avalait des hommes par bouchées de vingt et de trente et d’un coup de gosier si facile qu’il semblait ne pas les sentir passer ».

C’est contre cette exploitation qui est faite de leur corps et de leur travail que s’élèvent les mineurs en grève de Germinal. À la fin du roman, c’est cette bête monstrueuse qui s’effondre. Zola donne ainsi aux combats des mineurs une dimension épique, il crée le mythe de la mine dévoreuse d’hommes qui, au fond, est autant de graines en germe pour les révolutions à venir. C’est pourquoi l’on se souvient de Zola à Bruay-Thiers et qu’en 1984, le centenaire de sa venue y est célébré.

Sources : Pierre-Marie Miroux

 

LA VENUE DE ZOLA / GERMINAL

En septembre 1883, Zola, en vacances à Bénodet, en Bretagne, y fait la connaissance d’Alfred Giard (1846-1908), scientifique renommé et député socialiste de Valenciennes depuis 1882. Il lui fait part de son nouveau projet de roman portant sur le monde ouvrier et abordant « la question sociale », c’est- à-dire les rapports de capital et du travail. Il pense déjà situer son roman dans le milieu de la mine. Alfred Giard l’invite à venir dans sa circonscription quand il le souhaitera pour découvrir ce « pays noir ». Zola répond favorablement à cette invitation en février 1884.

La visite d’Émile Zola à Bruay-Thiers en 1884

Il arrive à Valenciennes, en compagnie de sa femme, le 23 février 1884, et va rester dans la région jusqu’au 3 mars. Il y voit les prémices de la grande grève de 1884 qui commence le 21 février et va durer 56 jours. Il s’en inspire largement dans Germinal qui paraît en 1885. Alfred Giard lui fait rencontrer le meneur de la grève, Émile Basly (1854-1928), ancien mineur renvoyé de la Compagnie pour ses velléités de création d’une organisation syndicale. Celui-ci tint alors à Denain, auprès des fosses, un cabaret qui sert de lieu de réunion pour les mineurs. Zola retient ce point et s’inspire de Basly pour plusieurs personnages de son roman dont le héros, Etienne Lantier.

Zola visite les villes minières du secteur ainsi que les installations de la Compagnie des Mines d’Anzin grâce à une autorisation délivrée le 25 février 1884. Au cours de ce voyage, il prend des notes dans un carnet maintenant déposé à la Bibliothèque Nationale de France (BNF) et intitulé « Mes notes sur Anzin ». Pour son roman, il retient principalement trois sites : Anzin pour ce qui est de la vie des mineurs et de l’habitat minier (le coron des 120 d’Anzin devient le « coron des 240 » dans Germinal) ; la Fosse Renard à Denain, où il descend, pour tout ce qui est travail au fond de la mine, et Bruay-Thiers pour ce qui est de la situation du puits de mine dans le roman : le «Voreux».

Il remarque aussi la position de l’estaminet situé sur le chemin entre le coron et le puits, là où les mineurs s’arrêtent pour boire une chope et discuter à la remontée du travail, position qu’il reprend dans son roman.

Mais ce qu’il note particulièrement, c’est la position du puits en contrebas du coron : « Fosse Thiers, dans un creux, à côté du canal qui s’étend à perte de vue ». Plus loin, il ajoute : « Mais ce que je veux prendre avant tout, c’est la position topographique. La fosse près du canal, dans un fond, tandis que le coron est bâti en haut d’une pente, sur un plateau au niveau de la route. Autour la plaine immense, du blé, des betteraves, largement ondulée, coupée seulement par la ligne droite des grands arbres réguliers du canal ».

Certes, il nous faut de l’imagination maintenant pour se représenter la grande plaine désormais entièrement construite, mais Zola reprend cette notation dans Germinal : « Au milieu des champs de blé et de betteraves, le coron des Deux-cent-Quarante dormait sous la nuit noire».

Ce que Zola note également, c’est l’aspect trapu des installations qu’il décrit ainsi : « Sur la fosse, les constructions lourdes en briques. Construction massive, accroupie, tapie comme une bête. Seules deux cheminées lourdes, trapues quoique hautes s’élèvent au-dessus de la construction et se voient de partout».

Ces impressions, il les transpose dans Germinal quand Etienne Lantier arrive à une fosse « tassée au fond d’un creux, avec ses constructions trapues de briques, dressant sa cheminée comme une corne menaçante », une fosse « qui lui semble avoir un air mauvais de bête goulue, accroupie là pour manger le monde». C’est « une bastille d’un nouveau genre » écrivit Zola dans ses notes.

De la réalité au roman

Il est frappant de constater que, dès sa visite, Zola est déjà en train d’interpréter la réalité en fonction de l’objectif qu’il va se donner dans son roman. Il voit déjà ce puits comme un monstre qui, tapi dans un creux va dévorer chaque jour les mineurs qui descendent vers lui des corons situés plus haut. D’où l’intérêt qu’il a porté à « la position topographique » de cet ensemble et le nom qu’il a choisi pour nommer sa fosse dans Germinal : le «Voreux » inspiré du mot Dévoreur dont il peut être une forme patoisante. Ceci est clairement exprimé dans le roman :
«Le puits avalait des hommes par bouchées de vingt et de trente et d’un coup de gosier si facile qu’il semblait ne pas les sentir passer ».

C’est contre cette exploitation qui est faite de leur corps et de leur travail que s’élèvent les mineurs en grève de Germinal. À la fin du roman, c’est cette bête monstrueuse qui s’effondre. Zola donne ainsi aux combats des mineurs une dimension épique, il crée le mythe de la mine dévoreuse d’hommes qui, au fond, est autant de graines en germe pour les révolutions à venir. C’est pourquoi l’on se souvient de Zola à Bruay-Thiers et qu’en 1984, le centenaire de sa venue y est célébré.

Sources : Pierre-Marie Miroux